Amour rédempteur
Malgré cet orage dantesque qui engloutit la lumière de cette fin de journée Jérémie sourit, il rentre à Toulouse retrouver son épouse après une semaine épuisante passée à visiter les médecins du Pays basque. Son métier de délégué médical l’éloigne trop souvent de chez lui. Déjà 19 heures et conduire sous ces trombes d’eau devient dangereux. Il décide de quitter l’autoroute et se gare sur l’aire de covoiturage du péage d’Hasparren, le temps que les éléments s’apaisent.
Soudain un coup de tonnerre assourdissant fait vibrer la voiture. Une lumière aveuglante, blanche, persistante aveugle Jérémie, il est nauséeux et a la sensation de perdre connaissance. Un SMS qui fait sonner son téléphone le sort de cette torpeur :
Monsieur LEGAC Jérémie, votre chambre vous attend ce soir, Hôtel des Pyrénées d’Hasparren, chemin d’Antzénia.
Tel un robot téléguidé Jérémie appelle sa femme, lui annonce qu’il reste à l’hôtel ce soir, il se sent trop fatigué pour conduire quatre heures avec ce mauvais temps. Il démarre sa voiture et se rend compte que l’adresse de cet hôtel qu’il ne connait pas est déjà programmée dans son GPS.
La bâtisse isolée est ancienne, de style basque, un peu passée, mais encore élégante. Il se gare et se dirige vers la réception.
– Bonjour Madame, j’ai une réservation…
L’employée semble évoluer dans une une autre dimension, une sorte d’hologramme, une image insaisissable, perturbante.
– Bienvenue Monsieur Legac, voici votre clé, chambre 101 au premier étage.
Il prend la clé, en un instant la réceptionniste éthérée a disparu. Il monte dans sa chambre, un canapé donne un semblant d’allure à la pièce un peu vieillotte, une légère odeur de renfermé et de poussière convient au lieu. Jérémie se jette sur le lit, le regard perdu dans les moulures du plafond.
Il décide de prendre une douche et tenter d’évacuer cette dernière heure éprouvante. La vapeur l’enveloppe, il se détend. Il sort de la salle de bain, nu et encore mouillé, et tombe sur un couple assis dans le canapé.
– Oh ! C’est quoi ça ? Vous êtes qui ? Comment vous êtes rentrés? Hurle-t-il en se jetant sur une serviette pour cacher sa nudité.
– N’ayez pas peur Jérémie, vous permettez qu’on vous appelle Jérémie? dit en souriant l’homme.
– Sortez de ma chambre ! Immédiatement !
– Calmez-vous, nous sommes Jeanne et Gabriel, nous avons besoin de vous Jérémie, nous sommes des âmes en peine coincées dans cet hôtel depuis soixante-dix ans.
Le couple paraît avoir à peine trente ans. Jérémie, serviette nouée à la taille n’arrive pas à parler.
Je suis devenu fou. Pense-t-il.
– Non Jérémie, vous n’êtes pas fou, répond Gabriel.
– Mais alors quoi ? Vous êtes des fantômes ? Des morts-vivants ? Des vampires ? C’est quoi ce délire.
Le couple est assis, autour d’eux un halo bleuté irréel, ils regardent Jérémie en souriant. Ils sont beaux et élégants. Effectivement leurs vêtements trahissent la mode des années cinquante, costume trois pièces clair pour Gabriel et une superbe robe bleue parfaitement ajustée qui met particulièrement en valeur la jeune femme.
– Nous avons pris la liberté de vous faire monter un en-cas, précise Jeanne, vous devez avoir faim. Vous pouvez également vous vêtir un peu. Ensuite permettez-moi de vous raconter notre histoire qui a commencé il y a plus de soixante-dix ans…
Voyant Jérémie complètement abasourdi par cette situation, Gabriel prend la parole :
– Votre présence ici n’est pas due au hasard, cet hôtel a fermé depuis quarante-deux ans. Jérémie, nous sommes tous les trois dans une dimension irréelle. Aidez nous.
Jeanne reprit son récit :
– Gabriel et moi étions mariés depuis sept ans, et j’ai eu la certitude qu’il me trompait. Son travail de représentant de commerce l’amenait à s’absenter plusieurs jours et à dormir souvent à l’hôtel. Sûre de moi, un matin de printemps 1950, je suis venue ici pour le surprendre avec sa maîtresse. Il a bien tenté de nier. N’est-ce pas chéri ? Le ton est monté entre nous. Les reproches ont fusé des deux côtés, des choses mesquines que je regrettais au moment où je les disais. De façon tellement sotte j’ai pris le revolver que j’avais dans mon sac à main. Je voulais simplement lui faire peur et qu’il se taise mais le coup est parti, il s’est effondré. Sans le vouloir j’ai tué Gabriel. Horrifiée de mon geste j’ai retourné l’arme sur moi et me suis tuée. Depuis nous errons tous les deux dans cet hôtel, sans savoir comment nous libérer de cette infernale expiation.
Des larmes coulent sur les joues de Jeanne. Tout à coup, Jérémie réalise que lui aussi est marié depuis tout juste sept ans. Et que lui aussi a fait quelques entorses au contrat. Ces pensées lui vrillent l’estomac et réveillent ses nausées.
Gabriel, penaud, regarde ses beaux souliers et sans lever les yeux dit à Jeanne :
– Je te demande pardon ma chérie, je regrette tellement le mal que je t’ai fait. Je t’aime tant Jeanne. Me pardonneras-tu ?
Jérémie, bouleversé, regarde le couple dévasté. Il pense à son épouse, guidé par une force et une énergie mystérieuse il déclare :
– Je suis ici pour vous dire que la solution est en vous, votre pardon, votre amour profond et la sincérité de vos sentiments seront la clé de votre libération.
Gabriel, les yeux pleins de larmes, se lève et tend la main à Jeanne qui la prend, il l’attire vers lui et ils s’embrassent sans retenue, passionnément.
Jérémie voit tout à coup leur image se troubler, la robe et le costume se délitent emportant le couple qui s’efface. Dans l’instant suivant Jérémie perd connaissance et s’effondre sur le parquet.
France Inter, il est sept heures, les informations, Hélène Roussel
Jérémie ouvre un œil, assis dans sa voiture, radio allumée, sur l’aire de covoiturage. Il n’arrive pas à reconstituer de façon cohérente et précise ces dernières heures. Sur le siège passager, un plateau avec un en-cas. Il prend son portable, supprime l’application Tinder, et rentre à Toulouse. Ses nausées se sont envolées, ce matin le soleil brille de mille feux dans son cœur.