La révélation surréaliste

La révélation surréaliste

La bibliothèque familiale est fournie. Les ouvrages reposent sur les étagères, élégants, immobiles depuis des années. Juliette réalise en regardant les alignements parfaits, bien ordonnés  que personne dans sa famille ne touche ces livres. S’agit-il de décoration? Ou-bien afficher une culture supposée et rassurante? Jusque-là elle ne s’était jamais posé la question. 

Elle s’approche et décide de rompre le sortilège. Juliette promène son index sur les belles reliures. Son choix se porte sur un livre de la collection de la Pléiade, André Breton, œuvres complètes, Tome 1.

Juliette n’a pas une culture littéraire remarquable. Elle termine son cursus scientifique, elle sera généticienne. Elle passe deux semaines de vacances chez ses parents en province, être ailleurs qu’au laboratoire est un bol d’air. Elle lâche les éprouvettes et le microscope, oublie le clic entêtant du capteur d’acide ribonucléique. L’étude du génome humain est certes passionnante mais ce travail trop spécifique arrive à transformer sa vision du réel de façon dangereusement pérenne. Pour Juliette, désirer aller au-delà de l’ADN et accéder à une dimension plus spirituelle est maintenant un impératif compatible, et même nécessaire pour être une scientifique accomplie.

-Papa, tu connais André Breton? 

Le père un peu gêné :

-Mmmm…pas vraiment ma chérie, demande à ta mère, elle est plus classique que moi.

Juliette se rendant à l’évidence:

-Mais personne ne lit tous ces livres…c’est dommage non?

-Tu sais c’est ta mère, elle voulait une belle bibliothèque, elle lit beaucoup, mais sur sa liseuse.

Juliette sourit de la réponse de son père.

Elle réalise que depuis le lycée elle a négligé l’étude des belles-lettres. Comme beaucoup d’étudiants elle a été encouragée, par sa famille et ses professeurs, à se concentrer sur les matières scientifiques. Mais depuis quelques temps elle reçoit des signaux ténus qui l’encouragent à s’intéresser à la littérature. Au cours d’un repas où la discussion portait sur les derniers livres lus et où elle était restée en retrait, comprenant bien que la revue sur la génétique moléculaire n’intéresserait personne. Les échanges étaient animés et Juliette avait apprécié les commentaires passionnés de ses amis. Après une émission télévisée où un auteur parlait avec un enthousiasme communicatif de son ouvrage, elle avait décidé de le lire et ce roman l’a ravie. Elle considère d’un oeil différent cette impressionnante mais sclérosée bibliothèque familiale, un peu comme s’il s’agissait d’un gâchis et qu’elle avait eu sa part de responsabilité. C’est décidé, elle va prendre du plaisir dans la lecture.

-Tu sais chérie, ton père m’a dit que tu voulais lire un livre d’André Breton. C’est très bien mais ça me semble un peu ambitieux. Je n’y suis jamais arrivé. Essaie un auteur plus facile. Je ne sais pas, un policier de Mary Higgins Clark!

Un peu piquée au vif, Juliette répond plus sèchement qu’elle aurait voulu:

-Merci du conseil maman, mais je vais quand même essayer, tu sais bien que j’aime les défis.

Le chalenge était posé. Le recueil était dans ses mains, le contact de la couverture en peau, la finesse des pages. Peut-être au final que ces livres ne sont pas faits pour être lus? Trop beaux? Et bien non, c’est décidé elle lira André Breton dans la pléiade.

Installée dans le salon. Le canapé est confortable et la maison calme, les fenêtres ouvertes laissent entrer une douce brise estivale. Elle parcourt l’ouvrage, 1872 pages. Elle repense à sa mère.

L’après-midi passa en un éclair, elle entra dans le monde étonnant de Breton. Les écrits sont complétés par des articles qui expliquent cette complexité. Elle découvre le recueil de poésie « Clair de Terre » Juliette entre dans ces poèmes en prose écrits sans filtres ni barrières, laissant l’esprit s’exprimer sans retenue ni pudeur. Elle découvre le surréalisme dont Breton était l’un des principaux instigateurs. La liberté de créer sans contrainte mentale ni tabou culturel, les liens avec Picasso et Dali qu’elle apprécie beaucoup. Elle trouve André Breton très moderne. Juliette ne pensait pas qu’après la première guerre mondiale les écrivains et les artistes avaient pu avoir cette liberté d’expression, et surtout qu’ils aient trouvé un public. Ils étaient bien plus audacieux que beaucoup de nos contemporains plus soucieux de l’aspect mercantile de leurs oeuvres.

Cette après-midi fut une révélation pour Juliette, pas uniquement pour la découverte du surréalisme, mais aussi pour le plaisir à entrer dans un monde nouveau. Jusque là, dans sa vie, tout était carré, analysé, cartésien, explicable. Ce soir une part de son esprit s’est ouvert. Elle a un sentiment de plénitude qu’elle doit encore approfondir. Elle est ravie. André Breton avait fait des études de médecine puis il est devenu poète et écrivain. Juliette est généticienne et pourquoi pas aussi artiste, écrivaine, ou théoricienne? 

En attendant ce moment elle est simplement heureuse.

Méthode suivie: J’ai lu et relu les mots imposés. J’ai sélectionné le/les plus compliqués à intégrer dans un texte: ici  » clair de terre, génome, clic ».

Ensuite j’ai cherché une définition plus originale de « clair de terre » (google est mon ami) Le côté « spatial » ne me convenait pas. J’ai découvert ce recueil de poèmes de Breton. Pour génome et clic il me fallait un domaine scientifique. Enfin j’ai inventé cette histoire avec le contraste entre une jeune femme brillante probablement un peu poussée dans des études très cartésiennes et Breton, le surréalisme, sans filtre et excessif, totalement à l’opposé. Le cadre de l’histoire, la maison et la famille, qu’on imagine bourgeois, est aussi à l’opposé de la liberté de pensée et d’expression du surréalisme. Dernière chose: j’ai voulu, par jeu, placer 9 mots sur les 10 dans un même paragraphe 🙂 Les mots imposés sont en caractère gras.

 Je vous souhaite une bonne lecture.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *