Le champignon ultime
Enfin je le vois. À l’ombre d’une fougère, dans la lumière tamisée du sous-bois, droit, fier, beau, son pied large et sa tête bien faite et sombre. La découverte du premier cèpe de la saison. C’est lui qui va donner le ton de la récolte. C’est la fin de l’été, la terre en septembre est chaude et les pluies des orages de fin août ont pénétré les sous-bois et ont pu créer cette humidité particulière qui, combinée à d’autres facteurs très mystérieux permettent la pousse des champignons. On touche là quasiment au sacré. Je vous accorde qu’il y a moult espèces de champignons, plus ou moins vénérables, plus ou moins vénéneux. Convenons ici que le cèpe est le roi des champignons, et nous admettrons que sa reine est la truffe. Ceci étant posé revenons à la découverte de mon premier bolet de l’année. Pour moi la cueillette des champignon est addictive, fin août, je surveille la météo , les orages, les lunes, et quand, enfin, les étoiles sont alignées je pars avec mon bâton dans les bois. Pas dans n’importe quel bois et pas n’importe quel bâton. Tous les initiés ont leurs « coins » favoris gardés jalousement secrets. Le diable est dans les détails. Mon bâton fétiche, mon coin secret, on ne m’arrête plus. On imagine le champignon doué de raison, attendant le bon moment pour pousser, le meilleur endroit pour se développer choisissant la façon dont il va se donner. Bien sûr tout cela peut vous sembler ridicule. Et pourtant, quel plaisir ! Quand tout fonctionne et que ce premier cèpe se livre on est au nirvâna ! L’émotion est à son comble, légère tachycardie, on se met à genoux, avant de le séparer délicatement de sa terre nourricière on l’admire, il arrive même qu’on lui parle :
-Oh tu es superbe ! tu es tout seul là ? ou peut-être as-tu des copains autour ?
Car oui, les bolets ont l’habitude de pousser en groupe…parfois mais pas toujours. Car en fait il n’y a aucune règle. On est, avec la pousse des champignons, dans le domaine des suppositions, on pense, on croit, mais au final on n’est jamais sûr de rien. C’est ce qui donne cette intensité au moment.
Certaines années, alors que tout semble parfait, ce premier cèpe ne se montre qu’au bout de plusieurs jours voire plusieurs semaines. Les retours bredouilles sont éprouvants pour le moral. Nombreux sont ceux qui abandonnent. Les plus valeureux cueilleurs persistent et sont récompensés. D’autres années la pousse est pléthorique, les bois se remplissent alors de gougnafiers juste là pour remplir leur congélateur, sans aucun respect pour ce miracle de la nature. Irrespectueux et grossiers personnages. Je vous laisse imaginer le peu de considération que j’ai pour eux. Ils ne font aucun cas de l’endroit.
Les bois à la fin de l’été sont une merveille pour les sens. La lumière, adoucie par les feuillages donne une impression de fraîcheur. L’odeur qu’il y règne est un mélange complexe de moisissure, de bois, de fleurs tardives, d’essence de plantes. La chaleur, même si elle est moins intense du fait des frondaisons, décuple toutes ces sensations. Rien que pour vivre tout cela allez-vous promener dans les bois.
Revenons à mon cèpe. Le voici dans mon panier en osier dédié, vous aurez compris qu’un vulgaire sac en plastique serait inconvenant. Le sourire aux lèvres et l’esprit léger je poursuis ma cueillette, généralement une ou deux heures. Je suis toujours ravi de trouver d’autres cèpes, voire des giroles, mais le premier sera mon préféré. De retour chez moi, lorsque je vide délicatement mon panier, je sais toujours reconnaître mon cèpe alpha. Ne vous moquez pas. Ne pensez pas qu’il a des propriétés particulières, psychotrope ou autre. Il a juste fait battre mon cœur un peu plus vite, et non, je ne le fumerais pas ni ne ferai un space cake avec. C’est juste qu’il a été le premier de l’année, je le dégusterai, tout simplement, poêlé, ail et persil accompagné d’un bon madiran. Et ses congénères feront le plaisir des amis et de la famille.