Mal au cœur spatial.

Mal au cœur spatial.

Jusque-là, pour ses missions dans sa station, l’Agence Spatiale Européenne recrutait de purs scientifiques passionnés qui étaient conscients du danger et de la difficulté de la tâche. En 2044 la station accueille une dizaine d’astronautes et la durée moyenne de séjour approche maintenant un an. Cette durée rallongée crée des soucis de cohabitation.

 Deux décès inexplicables dans la station spatiale, il y a deux semaines, font souffler un vent de panique au sein de l’agence. Le directeur des opérations prend la décision d’envoyer un enquêteur-profileur pour faire la lumière sur cette affaire embarrassante. Depuis la faillite des états, les fonds de l’ASE proviennent uniquement d’investisseurs privés. Un scandale signerait la fin de l’agence. Les transferts terre-station sont parfaitement maitrisés, très onéreux mais sûrs. En revanche les séjours dans la base restent particulièrement difficiles. La station est inconfortable, vieillissante. Le quotidien des astronautes est éprouvant et la cohabitation parfois compliquée.

 L’enquêteur, Nicolas, a été choisi après une sélection difficile du fait du peu de volontaires. Il est une référence dans son domaine mais il a totalement sous-estimé la difficulté de la mission. Jusque-là sa vie était parfaitement organisée entre sa famille, son travail, sa passion pour le sport et la course à pied. Comment pourra-t-il s’adapter à la vie en apesanteur? à la promiscuité éprouvante. Lui qui aime tant l’espace et le grand air. L’agence a agit en urgence sans mesurer vraiment l’évidente incompatibilité de son caractère avec un séjour dans l’espace.

Après un entraînement réduit au minimum, le transfert de quatre heures vers la station spatiale se passe sans souci. Dès son arrivée il est accueilli par Igor Kouznetsov, ingénieur russe, commandant de la station:

-Bienvenue Nicolas, bon voyage? 

-Bonjour Igor, oui, merci, en revanche je me sens nauséeux et assez perturbé par l’apesanteur, regarde, je ressemble à un insecte en train de se noyer, je m’agite ridiculement…et je dois dire que je vais rapidement manquer d’espace…bref, je vais me mettre rapidement au travail pour centrer mon esprit sur autre chose.

-Tu verras Nicolas, dans 24 heures ça ira mieux. Si tu es là c’est que le directeur des opérations te pense capable. Parlons de l’affaire…

Igor présente l’histoire tragique: le meurtre de deux médecins Français morts a priori d’étouffement, retrouvés tous les deux dans le module hygiène, ils étaient cachés sous des couvertures de survie. Par souci d’intimité ce module n’a pas de caméra. Il n’y a, par ailleurs, pas d’autres enregistrements vidéo susceptibles de faire avancer l’enquête. Igor présente Eva, qui a trouvé les corps, ingénieure espagnole, responsable de la maintenance de la station: 

-Bonjour Nicolas, vous n’arrivez pas à vous déplacer? On ne vous a pas appris à l’entraînement? 

-Merci pour votre compassion Eva, j’espère arriver à m’adapter rapidement. Racontez-moi plutôt votre découverte? Que pouvez-vous me dire?

-Ben rien de spécial, ils étaient entassés derrière les toilettes, tous les deux un peu violets…j’ai immédiatement prévenu Igor. Asphyxiés ou étouffés, on ne sait pas en fait. 

Igor intervient:

-Après avoir prévenu l’agence, le directeur nous a demandé de réunir l’équipage et le lendemain nous avons organisé une cérémonie en duplex pour les familles et évacué les corps dans l’espace. C’est compliqué Nicolas, les américains Peter et Anna sont quasi prostrés depuis ces meurtres. Ils repartiront avec ta navette. 

Le lendemain Nicolas rencontre tout l’équipage. Aucun témoignage ne permet faire avancer l’affaire. Il est mal, toujours nauséeux, il n’arrive pas à dormir. Les repas sont sans saveur. La promiscuité le stresse et l’empêche d’avoir les idées claires.

Eva est venue le questionner pour savoir s’il avait des pistes. Cette femme est assez désagréable, elle parle avec rudesse et semble imperméable à l’ambiance pesante qui règne dans la station. 

Nicolas se rend compte qu’Igor, bien qu’il ne soit pas débordant d’empathie, fait de son mieux pour conserver l’unité, un semblant de cohésion au sein de son équipage. 

Comment sont-ils morts…question sans réponse, à distance l’agence a conclu à une asphyxie mais sans certitude. La question ne serait-elle pas plutôt: Pourquoi sont-ils morts? 

Ils étaient tous les deux médecins, en mission pour étudier les effets à long terme de l’apesanteur sur le système cardiaque. Pour ce faire ils ont posé des capteurs sur les membres d’équipage. Nicolas récupère les ordinateurs et le matériel des médecins et se rend compte qu’ils ont été formatés et vidés de tout fichier… une clé mémoire tombe du fond de la housse de l’ordinateur des médecins. Nicolas s’isole pour lire cette clé avec sa tablette et, pour la première fois depuis quatre jours sourit…Il a la réponse à la question « pourquoi? » et par là même à la question « qui? ».

Nicolas est abasourdi. La surprise est totale. Il va falloir faire vite et neutraliser le meurtrier. Il convoque Eva lui explique la situation et son plan.

-Igor, pourras-tu jeter un oeil à la navette, il y a eu des alarmes avant l’arrimage concernant la pressurisation et l’alimentation en oxygène. Eva m’a dit qu’elle pourra réparer après ton diagnostic.

-OK Nicolas, je m’en occupe immédiatement.

Alors qu’Igor est assis dans la navette, Eva ferme et verrouille le sas, bloquant le tueur hors de la station.

Le commandant est le meurtrier. Les médecins lui avaient trouvé une faiblesse du muscle cardiaque qui, révélée, mettrait fin à sa brillante carrière de spationaute.Cette perspective lui était insupportable. 

L’agence procèdera dans la journée au rapatriement du meurtrier résigné.

Nicolas devra supporter encore une semaine d’angoisse spatiale avant son retour sur terre. Hormis la satisfaction d’avoir résolu cette affaire, il n’aura pris aucun plaisir à graviter à plus de quatre cents kilomètres de notre belle planète bleue.

Chacun ses passions…

  

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